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Un temps que les moins de 20 ans ...


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L’histoire du Knuckle modèle 1934

Il s’appelait Duke pour Duke Denver, c’est comme ça qu’il s’était présenté.
Il avait dans les trente-cinq ans à l’époque et assez d’argent sur son compte pour envisager l’achat de la moto de ses rêves, une Harley Davidson couleur kaki avec le moteur Knucklehead, le plus fiable et le plus rapide dans ces années-là.

Il passait tous les jours devant la vitrine du concessionnaire Thomson and Co, sur Main Street, à l’angle de la 10th Nord Est à Portland. Et tous les jours, il posait son regard sur la même moto, en reluquant les chromes et les accessoires, la sculpture des caches-culbuteurs en forme de poings fermés, le porte bagage chromé soutenant le panier en osier que le vendeur avait installé dans une habile mise en scène :
Une botte de foin était posée contre la moto neuve et un mannequin habillé de cuir semblait monter la garde contre la machine, tout en fixant l’acheteur potentiel juste au-dessus de son regard, comme accaparé par une ligne d’horizon imaginaire située derrière lui, de l’autre côté de la rue.

La maladresse de la composition n’avait pas échappé à Duke, mais la scène n’en demeurait pas moins évocatrice d’un rêve qui le travaillait au corps : filer avec sa femme jusqu’au lac Taho et rentrer dans la nuit, sous la lumière d’une lune pleine de milliers d’éphémères en sursis.

La moto avait une vraie place dans sa vie monotone de guichetier de banque, et le projet de « se la payer » avait peu à peu grandi dans une obsession de gamin habitué à manquer. C’était celle-là et pas une autre.

Il avait essayé d’amener la conversation avec sa femme sur le sujet. Mais chaque fois, c’était une fin de non-recevoir, ou bien le projet passait après d’autres priorités plus ménagères.
Enfin, quoi, ce n’était jamais le moment.

Alors il avait fini par élaborer une stratégie de double compte.
Puisqu’on ne lui laissait pas le choix, il allait mettre les bouchées doubles pour gagner plus d’argent à la banque et rogner sur les dépenses. Moins de tabac, moins d’achats frivoles – il avait espacé les renouvellements de chaussures et d’autres bagatelles-, bref il était devenu ascète par la force du désir, diminuant le budget « nourriture » et remettant à plus tard les moments de détente trop coûteux.

Ce choix de rigueur, décidé et mis en œuvre avec force et soudaineté, modifiait l’équilibre de sa vie, rognait sur son humeur.

« Tu me caches quelque chose » avait déclaré son épouse, un soir qu’il rentrait tard, après un supplément d’heures à la banque. S’enfermant davantage dans un mutisme de fuite coupable, il avait inventé un souci de santé. Ce mensonge avait achevé de verrouiller la logique du secret. Il s’était installé désormais dans un système de double vie. Il s’y complaisait.

Son ménage continuait à sombrer quand il cachait dans son bureau le catalogue des accessoires ou une revue de moto. S’enfermant dans les toilettes, il goûtait au délice de la vie rêvée en feuilletant son magazine préféré. Il devenait avare de tout, et ne touchait plus sa femme par crainte d’aveu sur l’oreiller.


Ce n’est que quand il a pu signer un premier chèque de traite à l’adresse du vendeur, quand ses finances ont pu enfin lever l’hypothèse d’un endettement trop lourd à assumer qu’il a pu souffler un bon coup et s’est décidé à tout avouer à sa femme, le soir même.

La moto avait été déposée l’après-midi devant la porte de la maison et confiée à un voisin complice.
En sortant du bureau, Duke a filé tout droit chez lui et récité à lui-même les arguments qui allait emporter le pardon de sa femme et précipiter son couple dans un tourbillon de bonheur motorisé.

Il a poussé la porte de la cuisine et posé un bouquet de fleurs sur la table. Cherchant sa femme dans le salon il a trouvé, posé près de la radio, un petit mot écrit sur un bout de papier, avec cette phrase définitive :

« Duke, je te laisse avec ta maîtresse ».






A suivre ...
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BiP a écrit:
Vouaip !
J'me demande bien quelle histoire Dayton nous pondrait à partir de ça :

Question


Du pied gauche

Tous les matins, je tâte du côté droit de mon lit la poire de la lampe de chevet. Quand la lumière jaune me force à plisser les yeux, je bascule sur le bord du lit pour me lever en râlant et en poussant du coude.
On pourrait me croire de mauvaise humeur dès le début du jour.

Pourtant, je ne me lève jamais du pied gauche depuis que je l’ai laissé au bout de ma jambe quelque part sur le bord de l’A9.

J’ai pas vu venir le camion et j’ai rien senti sur le moment, juste la musique de mon walkman qui continuait à me remplir le crâne de décibels tordus pendant qu’on courait dans tous les sens autour de moi.
Juste le choc lourd d’un coup d’épaule dans le dos qui vous coupe le souffle et vous laisse un peu groggy et empêtré comme une espèce d’oiseau mazouté collé au bitume.
Couché sur le côté, je rigolais doucement en voyant les lumières bleues des bagnoles de flics qui étaient venues rien que pour moi, et j’ai entendu vaguement qu’un type en blouse me demandait de pas bouger-que-tout-allait-bien-se-passer.

L’après-midi, j’avais bricolé la bécane à Dudu et démonté la chaîne primaire pour installer une courroie toute neuve. Je voulais tout virer sur ce Shovel qui avait maintenant des allures d’insectes, et ça allait bien à Dudu le côté libellule, pour ces grandes pattes maigres et ses omoplates de gosse à scoliose. On avait trimé jusqu’à l’heure de l’apéro, on avait descendu pas mal de cannettes et Nico avait sorti les amplis dans la cour, pour faire chier les voisins.

J’aimais bien bricoler avec les potes, c’était comme repeindre un appartement avec sa copine le week-end, la radio dans un coin et Zelda en petite tenue qui pousse un rouleau dégoulinant d’une peinture rouge sur ses bras nus.
On avait grimpé l’engin sur un lève-moto acheté à Carrouf, un truc made in Taiwan que le Dudu avait rapporté sur sa Bleue, même que ça allait bien pour virer tout ce qui était en trop dans ce projet de chop à la Indian Larry.
La nuit nous avait surpris dans un délire de bière et de Rock and Roll.
Mais il fallait que je rentre pour nourrir le chien de mes vieux. Je me suis arraché avec l’envie de revenir le lendemain pour faire craquer cette bécane.

J’aurais dû rester me saouler et continuer à mater les loches à Zelda toute la nuit. Au lieu de ça j’ai pris l’autoroute à l’envers et j’ai failli dessouder un camion. Presque mourir ils m’ont dit à l’hôpital et y avait un bon dieu pour les toqués comme ma pomme.
J’y suis resté pas loin d’un mois dans cet hôtel qui sentait le chloroforme et la pisse. A rouler sur deux roues en équilibre sur mon fauteuil à roulettes poussé par ce con de Dudu. A chercher à me gratter l’orteil d’une jambe qui n’existait plus puisqu’on m’avait prévenu que c’était foutu pour moi la moto.

J’ai rien lâché. Je suis sorti de l’hosto à cloche pied avec mon moignon. Et bien calé sur la mob à Dudu on a filé jusqu’au garage des potos.
Sous la bâche il restait une chiure de panhead, un moteur avec un cadre tordu comme une bite de canard.
Pendant six mois on a soudé des bouts de métal que nous refilaient les gars du club, et j’avais gardé les pièces d’une ancienne bécane sans carte grise, c’est dire qu’on a fait un deux-en-un, on a ajusté tout ça avec Dudu et ma bande d’apaches, même que ça devenait drôle de se retrouver tous autour de cette oeuvre, j’ai pensé que j’avais gagné mon ticket pour un tour de manège, que j’allais de nouveau goûter au vent dans les plumes et roule ma poule.

C’est quand j’ai vu la guibole en plastic que j’ai craqué. Ils avaient glissé la prothèse dans la sacoche du pan avec un morceau de tulle pour faire « nouveau marié ».
Sûr qu’on allait rouler pas mal ensemble maintenant.
Zelda m’a aidé à ajuster ma jambe neuve. Elle seule avait le droit de me toucher au-dessus du genou.
Elle a dit : « T ‘es mon capitaine Crochet maintenant ». Et ils m’ont aidé à grimper sur la selle du Pan.
On avait tout prévu pour l’embrayage et les vitesses passaient super bien grâce aux réglages de la cloche.

Y avait un bouton rouge avec marqué « gaz » dessus. Quand j’ai appuyé ils ont tous levé les bras et un bon gros son a rempli le garage.
La moto a avancé lentement avec moi dessus et j’ai pensé que ça serait facile pour piquer des bottes pendant les soldes, vu qu’il n’y avait que des moitiés de paires aux étalage
s.
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thomas a écrit:
J'remet 100 balles dans le bastringue... bounce

(Et d'ailleurs, Serge, au cas ou tu aurais pas déja l'adresse de cette mine : http://www.vintageamericanmotorcycles.com/main.php)



Merci Thomas pour ce super lien... Very Happy

Quant à la photo ...

« Tu enlèves juste tes chaussures. Voilà. Ton pied gauche sur le réservoir. – Le réservoir ? – T’occupes. Tu te tiens au windshield et je prends la photo ».

Dick avait trouvé l’endroit superbe, pas trop loin de la ville, sur la rive droite de l’Hudson Crow. Pas évident la lumière et dégoter un coin peinard où on serait tranquille. Pas évident une femme mariée, pas évident un rencard en moto en fin de journée.
Diane a relevé sa jupe pour laisser voir un peu ses genoux.
Ce serait pas pareil sur un sofa ou une chaise de bistro, il a pensé, elle posait sur sa moto et c’était elle qui avait eu l’idée.
Alors il a calé l’appareil photo sur le capot de la Dodge du mari et a chiadé la mise au point en jouant sur les contrastes. Fallait qu’on voie la moto dans son entier de ferraille et de fonte. Fallait qu’on voie les sacoches aux conchos d’argent.
Le feuillage du chêne a porté une ombre légère sur la roue avant au moment où Diane tournait légèrement la tête. Le bon timing, le bon angle.
Il a entendu le miroir du Pentax et s’est dit que ça ferait un chouette souvenir, ce moment de fin de journée, juste avant le début de l’automne.

« Finalement, j’aurais préféré sans la moto. On la voit trop, et moi pas assez », elle a dit quand il a montré la photo.
Il a répondu un truc du genre « C’est toi que je vois» et elle a ri en renversant sa tête en arrière, le regard embrassant le ciel de Virginie. Il a alors caressé d’un doigt son cou découvert et posé un baiser sur ses yeux refermés.
« Tu penseras à moi, en Europe, avec toutes ces jolies filles… » Il a souri comme pour laisser planer le doute. Lui pensait maintenant au bateau qu’il allait devoir prendre le lendemain (son ordre de mobilisation mentionnait le Port de New Philey), et rajusta son calot militaire en même temps qu’elle rajustait son nœud de cravate, maintenant silencieuse.

VIRGINIE – 26 août 1942


J'avais fait ce 'tit texte l'an passé. Je crois que j'ai d'ailleurs commencé "Portraits de famille" avec cette photo..
I love youI love youI love you
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  • 3 weeks later...
Faire d’un obstacle un tremplin.

Levé avec le soleil. Petit déj’ devant le magasin en rondins, un café, des muffins et une banane pour caler tout ça.
Pour la bécane, le même rituel sans la banane : vérifier les niveaux, l’essence dans les réservoirs, faire l’appoint en huile.
Puis le parcours sur la carte en évaluant la durée du trajet ; s’habiller pour la route en anticipant sur la fraîcheur d’altitude (la montagne aujourd’hui et ses plaques de neige).

La moto a démarré au deuxième coup de kick.
Le temps qu’elle chauffe, je suis allé saluer Duke dans sa caravane, mais j’ai trouvé porte close. Le gars devait pousser plus loin sa nuit peuplée de souvenirs. Aucune réponse malgré mes coups répétés sur la porte.
Je suis resté un moment à examiner ce qui lui servait de toit et j’ai bien aimé sa maison à roulettes, le galbe des tôles polies et rivetées qui faisait ressembler sa caravane à un zinc de restaurant.
En l’absence de réponse, j’ai fait demi-tour.

Et puis tranquillement je me suis assis sur ma peau de bête et respiré un grand coup avant d’ajuster les lunettes ; après un dernier coup d’œil au campement, j’ai fait un signe de tête au couple d’écureuils ; et j’ai filé sans me retourner, laissant derrière moi l’écho d’un son grave et rond.


Nous étions en avril et l’altitude aidant, la moto ne trouvait pas son plein régime. Fallait passer la barre des cols et franchir les Rocheuses avant de redescendre et espérer retrouver l’équilibre d’un bon mélange, l’air oxygéné d’un espace enfin complètement déplié.
Je n’avais pas eu le temps de régler l’aiguille du pointeau comme il fallait. Le mélange, appauvri, avait du mal à maintenir une combustion parfaite dans les cylindres et j’amorçais la montée avec prudence et une pointe d’inquiétude.




Je contenais maintenant les soubresauts de la moto en serrant fort le réservoir avec les genoux et malgré ma grande taille et l’énergie que je mettais à maîtriser l’engin, je peinais à maintenir le cap à cause des nombreuses ornières creusées par l’hiver, comme autant de rails piégeurs.

Un chemin de cailloux avait remplacé la route bitumée. J’avançais au pas, posant souvent le pied par terre, tant pour maintenir l’équilibre que pour m’assurer que le sol était bien dur à l’endroit où je roulais. Des plaques de neige, dispersées, éclairaient une terre presque noire et hostile.
Dans les virages, passés en première le pied sur la pédale d’embrayage, il m’arrivait de glisser sur des caillasses de la taille d’une mandarine, et la moto soudain se déportait à droite ou à gauche, comme un mulet emporté par le poids du bât.

Je récupérais la moto en poussant très fort avec la jambe gauche, toujours la gauche, car j’avais pris l’habitude de pencher la moto du côté de la plus valide, l’autre membre appuyant si nécessaire sur la pédale de frein.
« Faire d’un obstacle un tremplin », je me répétais en moi-même.
L’obstacle était partout, principalement devant la moto. Je cherchais au fond de moi l’idée d’un tremplin, avec le sentiment d’exister pleinement dans le risque présent, le pied posé tantôt sur la pédale gauche, tantôt sur le sol. Ce devait être ça le tremplin en question, un risque à prendre pour le sentiment de vivre à fond chaque jour.


Mon foulard remonté sur le nez, je respirais continuellement une poussière grise et âpre qui collait à la gorge et piquait les yeux à travers les aérations de mes lunettes. J’économisais l’air des poumons et mon souffle mouillant peu à peu la soie du foulard, j’avais l’impression d’être un nageur de combat perdu à la recherche de la moindre poche d’oxygène sous la glace.

De temps en temps, je jetais un coup d’œil en contrebas, mais j’évitais ce genre d’écart, de peur de trop réaliser combien pouvait me coûter une glissade.
Je ne sais pas combien de temps aura duré cette épreuve, mais j’ai senti tout à coup comme un choc et la moto est devenue plus difficile à maîtriser. En même temps la selle s’est faite plus dure et j’ai réalisé qu’il allait vraiment falloir s’arrêter pour réparer le pneu qui venait d’éclater.
J’ai stoppé la Harley en plein milieu du chemin. Après l’avoir béquillée sur la centrale, je me suis assis contre le talus pour reprendre mon souffle et réaliser que j’étais vivant.



J’avais embarqué pas moins de trois litres d’huile dans une sacoche et tout le nécessaire pour réparer. Une pompe à air, des rustines, j’avais de quoi dépanner. Cette fois-ci mon pneu avait accroché un silex coupant comme un rasoir et la gomme était tailladée à hauteur de la valve sur quatre ou cinq centimètres.
Il allait falloir démonter et changer la chambre. Pour le pneu, on verrait plus tard ; je pourrais réduire l’entaille avec un fil de fer et ça tiendrait bien jusqu’à la prochaine station essence.
J’envoyais négligemment un coup de pied dans le pneu avant de commencer à démonter la roue arrière et tournais la tête pour contempler le paysage.

Je regrettais presque mon désert et ses cactus géants. Je n’étais pas fait pour ces reliefs tortueux et les contournements de trajets ne m’allaient pas, habitué que j’étais à tracer tout droit sur des routes qui suivaient les voies ferrées.
Dans ce paysage compliqué, il fallait suivre les courbes de niveau jusqu’à ce qu’un pont en bois posé sur deux rochers vous autorise à rouler sur une deuxième colline tout aussi pentue et pierreuse que la première. Et ainsi de suite.
J’avais faim d’espace et de perspectives, j’associais ligne courbe et ligne fourbe. Et j’aimais la franchise des espaces dégagés.

Finalement, c’était pas compliqué une bécane. Suffisait d’avoir des outils et du temps, et le temps, c’était ce dont je disposais le plus, ici.
Une fois la roue démontée et ses éléments dissociés, une chambre à air toute neuve a remplacé la précédente. Après avoir couturé le pneu à l’aide d’une aiguille de bourrelier et de fil de fer, j’ai remonté le tout et fait l’appoint en huile.

La lubrification était à huile perdue, l’huile du moteur servant à mouiller la chaîne primaire par le biais d’un reniflard. Cette huile coulait ensuite dans le carter jusqu’à sa base, percée d’un petit trou de la taille d’une tête d’épingle. Le liquide finissait son chemin sur la chaussée, ou sur le sol du garage.
Astucieux le système, sauf que ça obligeait le propriétaire à faire l’appoint en huile tous les deux cents miles. Et à embarquer les réserves.
Cette logique mécanique me rassurait. Suffisait de suivre le fil rouge, « examiner pour comprendre » me répétait mon père. Ca se déroulait comme un mur de briques à construire ; fallait juste suivre le mode d’emploi pour éviter de rater les fondations.

J’ai décidé de passer la nuit près de la moto, à l’abri d’un muret de pierre. Cet abri me protégeait maintenant du vent qui s’était levé, froid et violent.
Mon repas terminé, je me suis glissé dans ma couche, tout poussiéreux de la route, décidé à contempler les étoiles avant de m’endormir. Mais pas d’étoiles dans le ciel, juste quelques gros nuages annonciateurs de pluie.
J’allais déguster, et éprouver l’étanchéité de mon duvet, enfoui dans son intérieur douillet, jusqu’à présent sec et accueillant.


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  • 2 weeks later...
Au milieu d’un tapis de fleurs

C’est au moment où, calmé de toute cette tension rétrospective, j’allais sombrer dans le sommeil, que me sont revenues les images de l’avancée de ma Section du côté des Abruzzes, il y a trois ans. J’ai laissé les images m’envahir.

Nous avions percé au nord de Catane et découvrions les dégâts fait par l’artillerie dans les tranchées allemandes.
Les corps de soldats morts gisaient dans les trous des galeries, entassés les uns sur les autres. L’odeur était irrespirable et nous avancions avec une main sur la bouche, geste réflexe et dérisoire sensé filtrer l’air de cette puanteur, et masquer inconsciemment une grimace de dégoût et de honte.

Nous avons sécurisé la zone et rassemblé les armes dans un enclos. Un déjeuner sommaire sans réel appétit, et nous avons repris notre avancée vers le nord, après avoir signalé au QG notre position.

Derrière les ruines d’une ferme vers laquelle nous avancions en cohorte, s’ouvrait une étendue vaste et dégagée, une surface d’un demi-hectare légèrement vallonnée, entourée d’une ceinture de cyprès.

Ca m’a rappelé un coin de rivière où j’avais l’habitude de pêcher au printemps, le corps à demi immergé au milieu du cours d’eau, fouettant l’air de ma soie, et projetant une mouche artificielle au plus près des gobages.

A cette différence près, qu’il n’y avait là que des cadavres noircis et gonflés par le soleil.

J’ai dirigé mes pas vers cette zone, suivi de mes hommes, et toute l’horreur de la scène nous a sauté aux yeux, à mesure que nous avancions.
Je revois ce moment, avec un mélange d’incrédulité et de peur, une densité d’observation qui me faisait mémoriser chaque détail comme sur une pellicule sensible.

Dans le désordre de leurs uniformes débraillés, j’ai remarqué une main serrant une poignée de poils jaunes que j’avais pris au départ pour une touffe herbe. Ce qui restait du visage témoignait d’une expression d’horreur et de colère.
C’était comme si l’image de ce corps avait accaparé tous nos sens. Il n’y avait plus que cette main au centre de toutes choses, une obsession morbide qui masquait par sa présence obscène la réalité qui nous entourait, au mépris du danger qui pouvait nous guetter.

J’ai compris que blessés, ces soldats avaient encore dû se battre avec des chiens errants.
La scène de leur agonie a pris alors forme dans ma tête, avec les cris et les râles des bêtes. Comme si l’hostilité des hommes n’avait pas suffi à les clouer au sol presque morts, qu’il avait fallu rajouter à l’horreur la morsure des chiens, affamés devant cette viande encore vivante.

J’en voulais forcément à Dieu d’avoir abandonné l’humanité dans cette bestialité moderne de fer et de sang.
Et regretté de m’être porté volontaire pour une mission dont je découvrais peu à peu toute l’horreur crasseuse.
Mais j’avais fait le choix de m’engager en devançant l’appel, comme mon père plus jeune qui s’était embarqué pour l’Europe en 1918.
J’étais affranchi, pour de bon, de la réalité de cette guerre. Il allait falloir partager l’indescriptible avec le Diable et continuer la route.


Avec les hommes de ma section, on a rassemblé les morceaux de corps dans un trou de roquette et on y a mis le feu.
L’odeur des corps carbonisés a imprégné progressivement nos vêtements au point que je me souviens m’être frotté avec de la terre pour retrouver en moi une odeur d’humanité. Comme on porte un parfum. Et c’était celui de la terre que j’avais choisi instinctivement.



Revenu ex abrupto de ces images qui hantaient régulièrement mes pensées, j’ai repoussé mon duvet et me suis levé rapidement pour récupérer le Lugger de mon père. Une fois le magasin du chargeur vérifié, j’ai calé l’arme contre le sac qui me servait d’oreiller dans l’éventualité d’une visite de cougouar ou de toute autre bestiole hostile.

Il fallait maintenant que je chasse de mon esprit ces souvenirs pénibles et que je me concentre sur la route que j’allais emprunter le lendemain, le passage du col et la glissade vers le Désert.

[justify]
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  • 4 weeks later...
  • 3 weeks later...
Mauvaise nuit

Enfermé dans mon rêve, j’avais passé la nuit à croiser des fantômes de soldats courant dans tous les sens en même temps que claquaient des portes derrière moi, sans que je n’en perçoive la matérialité. Ou était-ce des coups de feu ?

Je me réveillai au matin la tête pleine de ces cauchemars nocturnes, un peu groggy, quand tout, autour de moi, paraissait figé dans un silence rassurant. Les rêves bizarres avaient cessé d’un coup, comme un film qui se coupe avant la fin, mais j’en percevais encore les gribouillis sur l’écran du sommeil.

Découvrant l’endroit où j’avais dormi, je fixais mon attention sur les détails rassurants de la nature, presque hypnotisé par tant de beauté offerte : la toile d’une araignée scintillante de rosée et le déplacement d’un nuage à l’intérieur de ce cadre, la densité des tiges végétales d’une mousse collée à la pierre, ses nuances de verts.

Je goûtai progressivement à la fraîcheur du jour, bien calé dans mon duvet, me délectant de la lumière timide du début de la journée comme d’une gourmandise. Me revenait l’odeur du café et de la tartine de beurre que me préparait le paternel à mon réveil. Le lent balancement entre l’envie de rester au fond du lit et la nécessité pressante d’un passage aux toilettes.

Il avait plu un peu durant la nuit, mais j’étais au sec dans mon duvet home-made, ce qui en soi était une victoire personnelle sur une nature potentiellement hostile.

J’avais rencontré en Italie des officiers anglais vêtus d’une capeline en coton, enduite de wax, une espèce de graisse à étaler à l’aide d’une brosse souple et d’un sèche-cheveux.
Cette opération avait l’avantage de rendre la toile imperméable en saturant de graisse la fibre de coton. L’astuce consistait alors à superposer deux couches de tissu sans contact entre elles ni piqûre pour éviter la conduction de graisse à l’intérieur de la doublure sèche.
J’avais exploité l’idée et ça avait fonctionné parfaitement.
J’étais content d’avoir pu éviter l’encombrement d’une toile de tente sur la moto et satisfait de profiter de ma découverte. Presque fier.

Repoussant le pan de la couverture, je me levai finalement en forme. J’enroulai le duvet précautionneusement en le fixant avec des sangles, avant de le ranger à l’arrière de la selle, contre le rail du buddy.

Je décidai ensuite de préparer un peu café à l’abri du muret de pierre.
Cherchant partout un peu de paille sèche pour démarrer le feu, j’avais eu l’idée de fouiller dans un trou de lapin que j’avais repéré et glissant mon bras dans la cavité, j’en avais ramené une poignée. J’allais pouvoir me réchauffer et avaler un peu de liquide noir.
Je fis un brin de toilette, nettoyai ma cicatrice avec soin, et peu à peu retrouvai l’optimisme que me procurait la perspective d’une ballade en moto.

La carte étalée sur la selle, je fis le point, envisageai le tracé de la route avec l’espoir de rencontrer en chemin une station service pour le plein d’essence et remplacer le pneu qui avait éclaté.
Jetant un œil vers la machine, je fus rassuré de constater que la réparation de fortune avait tenu le coup.
J’allais pouvoir continuer et descendre dans la vallée.


... à suivre ...
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La vallée

J’ai mis presque une heure pour franchir le col de cette montagne et me laisser glisser en seconde jusqu’à la rivière qui marquait l’entrée dans la vallée. La moto semblait guidée par l’envie d’une météo plus clémente et d’un retour à la civilisation.




Tout avait repris sa place progressivement, le moteur tournait rond et la moto avançait sur une route définitivement bitumée. Je croisais même quelques voitures de touristes, et répondais maintenant à leur bonjour, joyeux de me retrouver dans le flux d’un trafic plus rassurant.
Tout en conduisant, je testais l’arrimage des bagages qui tenaient le coup malgré les soubresauts de la moto. C’était comme si chaque morceau de l‘équipage avait trouvé sa place et refusait d’en bouger. La pompe n’avait pas glissé d’un pouce et jusqu’à l’extincteur qui avait cessé de fuir, juste un petit suintement de pyrène que j’avais stoppé avec un chewing-gum autour du robinet.

Il était prévu que je traverse quelques petits bourgs avant d’entamer la traversée du désert, et je me faisais, mentalement, la liste de ce que j’avais à y faire. En priorité la moto à réparer, et puis l’achat d’huile et de nourriture.
Ensuite une douche et une viande grillée. J’avais envie d’une viande.
Il devait me rester quelques dollars en poche, et la pensée de devoir stopper ma course pour bosser ne m’enchantait guère. Mais je voulais anticiper sur la longue traversée du Middle Ouest et amasser le maximum d’argent.

Le paternel avait dû passer quelques coups de fil. J’avais juste à dégoter la concession Harley locale et me présenter au patron avec un sourire de cow-boy qui vient de terminer sa journée, le genre d’attitude sensée dire tout haut « j’ai fini le boulot chef, mais je suis cool et je reste dans la course ».

Ca plaisait, cette attitude du gars bien sympa et disponible, et j’en jouais quand il s’agissait d’aller livrer à un client un vieux tromblon sur lequel j’avais pas mal bossé. Je me présentais comme ça, avec la casquette posée sur l’arrière du crâne, les bras le long du corps. Je livrais en fin de journée, et le scénario était bien rôdé : j’avançais vers le client en m’essuyant les mains dans un chiffon graisseux. Rien que ça.
De ce fait, le type marquait une hésitation avant de me serrer la main, et j’avais mon avantage dans l’entame du discours.
Il comprenait aussi que je venais de bosser pour lui tout l’après-midi, rapport à la crasse qu’il avait bien voulu me laisser avec la panne ; il se sentait alors redevable et un peu crétin de n’avoir pas su vidanger tout seul son moteur.
Toujours penser que le rapport de force est le mode de relation le plus primitif et le plus efficace si on veut avancer dans ce monde en conservant l’avantage.


... A suivre ...
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@jnck : merci pour les liens. Oui, l'idée serait de "relier" tout ça, avec les tofs. D'en faire quelque chose qui se tient et qu'on peut relire. Je finis l'histoire et je vois avec un éditeur et/ou une mise en ligne sous la forme d'un book numérique, ça me plait bien ça.

Very HappyVery HappyVery Happy

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L’idée de ne pas pouvoir réparer tout seul sa bécane à trente berges, c’était comme devoir compter sur quelqu’un pour enfiler ses chaussettes. J’avais connu ce type de situation, et j’en gardais un souvenir d’extrême mortification, dû à l’impossibilité physique d’aller où mon regard portait.
Gagner mon indépendance avait constitué alors l’essentiel de mes pensées, et j’avais refusé toute aide dès que mes guiboles avaient réussi à me porter jusqu’aux toilettes, ce qui constituait à mes yeux la première étape vers un statut d’humain autonome, préalable à toute ambition de liberté ultérieure.


J’avais croisé un panneau indiquant une ville toute proche et suivant le flux des voitures qui se densifiait, je suis arrivé dans ce qui constituait un ensemble de bâtisses modernes et proprettes. Poursuivant jusqu’au centre, un espace dégagé s’ouvrait sur un jardin municipal entourant un kiosque de style européen. Un podium surmonté d’une coupole en fer forgé devait servir aux concerts de la clique municipale, les dimanches après-midi.
L’ordonnancement des rues, la présence de trottoirs surélevés construits en planches savamment agencées dégageaient un sentiment de propreté bourgeoise qui contrastait avec ce que j’avais l’habitude de voir dans mon coin, quand le sable, poussé par les bourrasques d’automne, recouvrait jusqu’à l’ébauche d’un trottoir fait de vilaines planches.

Derrière le kiosque, apercevant ce qu’il m’avait semblé être une Indian Big Chief, j’ai stoppé ma moto et poussé du talon la béquille latérale, en laissant un espace entre la Harley et l’Indian.
Comme je dévissais le bouchon du réservoir gauche pour jauger le restant d’essence, un grand type s’est pointé devant moi et s’est tenu bien droit sur ses jambes en plaçant ses poings sur ses hanches. Nos regards se sont croisés et j’ai noté qu’il devait être plus âgé que moi, du style la quarantaine et qu’il portait une casquette de marin couverte de pin’s en métal.
Un autre homme l’a rejoint, et il portait aussi une casquette de couleur sable quand celle du premier laissait apparaître un tissu bleu sombre derrière les bouts de métal.

« C’est pas vrai, Larry, une Harley qui roule et qu’est pas d’ici. J’en reviens pas, de c’te brêle, c’est quoi tout ça ? » et désireux de se faire son opinion, j’ai vu la casquette bleue descendre les marches du trottoir et faire le tour de ma moto, les mains toujours posées sur ses hanches.
Je revissais le bouchon du réservoir et le plus grand continuait son monologue en ignorant ma présence. J’ai mis ce manque de savoir vivre sur le compte de l’étonnement et apercevant un steack house un peu plus loin, j’ai chargé sur mon dos l’essentiel de mon bagage.
J’allais quitter les deux motards, toujours occupés à détailler ma machine, quand la casquette sable a posé sa main sur mon épaule :
« Bonjour mon gars. C’est pas fréquent qu’on s’arrête ici. Encore moins avec un engin comme ça. Tu vas où ?
- Manger un morceau et boire une bière juste au bout de la rue.
- Non, j’veux dire, t’as de la famille dans le coin ? Tu voyages tout seul ? »

J’ai posé mon sac et suis resté un moment silencieux, à me demander si c’était bon pour moi de laisser mon steack refroidir. Et puis le grand a rejoint la casquette sable et on a entamé tous les trois une conversation autour de qui m’amenait dans le coin, de ce que je projetais de faire et de ce qui allait m’arriver si je trouvais pas du boulot rapidement.



... à suivre...
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Salut les potos.
J'ai repris le récit. La suite arrive.. grâce à vous qui me stimulez grave. Basketball

Promis, des nouvelles de COAST TO COAST dans pas longtemps...
Et l'idée d'un bouquin électronique avec de la zique, des videos d'époque et du son.... Faut que j'vois avec le PIERO comment on peut monter ça. drunkendrunkendrunken

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